Se loger à un prix raisonnable est devenu une gageure.
De 2000 à 2010, les prix ont doublé sur l'ensemble du territoire, quasiment triplé à Paris, entrainant de lourdes conséquences sociales pour les personnes en situation de précarité, car disposer d’un toit est un besoin fondamental. Mais ces difficultés n’épargnent pas non plus les classes moyennes et moyennes supérieures.
Un logement cher (loué ou acheté) pénalise l’économie. Le coût du logement, qui est une dépense obligatoire, s'impute en premier lieu sur le revenu, comme l'impôt. S'il est trop élevé, il vient réduire la consommation et l'épargne des ménages locataires ou propriétaires, qui n'ont pas fini de rembourser leurs emprunts immobiliers. Mais l'épargne des ménages, c'est aussi leur capacité à investir dans le secteur manufacturier pourvoyeur d'emplois. Les fluctuations des prix du logement impactent donc la croissance et, par conséquent, l'emploi, jouant ainsi un rôle d’indicateur de la tonicité de l’économie. Par ailleurs, la plupart des économistes s’accordent pour affirmer que l’actuelle crise est née d’une spéculation sur les actifs réels, l’immobilier en est un, les marchés financiers ayant amplifié et consolidé ce phénomène par le biais des « prêts subprimes ». Dans ces conditions, on peut aussi faire un parallèle entre les coûts du logement (achat ou location) entre l'Allemagne et la France, qui peuvent varier du simple au double, malgré une densité de population bien plus faible sur le territoire français, et l'écart de performance entre les deux économies.
Depuis, malgré ces analyses, aucune solution n'a été trouvée au problème de l'immobilier cher, bien que la problématique du logement ait bénéficié d’importants soutiens[1]. Si on remonte à 1996, on constate que les mesures fiscales en faveur de l’investissement locatif coïncident avec une hausse des prix ininterrompue jusqu'en 2008. De Périssol à Pinel, en passant par Robien, Scellier, etc., tous les dispositifs mis en place ont été coûteux et inefficaces, mais systématiquement reconduits. À chaque fois que l’un d’entre eux arrivait à échéance, la classe politique, sous la pression des divers lobbies lié à la pierre, relançait un nouveau dispositif. Et les mesures ont succédé aux mesures, sans laisser aux prix du marché le temps de s'ajuster, sous l'unique préoccupation de rendre la demande solvable (les prix sont aussi fonction des moyens des acquéreurs) en alimentant la hausse du neuf par ricochet. Les clients évincés se sont alors focalisés sur l’ancien et l'ensemble du marché s’est trouvé ainsi entraîné dans une spirale haussière.
Mais prenons le temps de revenir à la racine du problème, un phénomène qui remonte aux années 70, à l’époque où la génération des baby-boomers se constitua un patrimoine payé en francs dévalorisés par l'inflation et revendu avec plus-value. La suite du feuilleton est connue, elle se raconte au détriment des générations suivantes pour qui la hausse des prix, supérieure à l'évolution des revenus, s’est traduite, soit par l'exclusion du marché, soit par l'obligation du recours à l'emprunt sur des périodes de plus en plus longues. Et, de proche en proche, les nouveaux acquéreurs se sont trouvés pénalisés. Un schéma apparenté à une chaîne de Ponzi, mécanisme d’autant plus destructeur que, alimenté par l'Etat, il s’est déployé et se déploie encore à l’échelle d’un pays, chaque acheteur devant surenchérir pour l’acquisition d’un toit en espérant revendre avec profits aux nouveaux entrants, sans voir sur le bord de la route les laissés pour compte de l’accès au logement.
Une des solutions serait d’arrêter de subventionner la hausse des prix du logement avec l'argent du contribuable. Encore faudrait-il qu’elle soit appuyée par une volonté politique. En effet, une stabilité, voire un ajustement à la baisse des prix est à l'avantage des locataires ou des primo-accédants à la propriété. La plupart des propriétaires qui détiennent leur seule résidence principale sont gagnants à la baisse, car ils peuvent racheter une surface plus importante avec leur épargne. À l'inverse, les plus fortunés détenant de nombreux biens sont gagnants à la hausse. Ils peuvent revendre sans être obligés de racheter et la plus-value est alors définitivement acquise. Mais s'ils sont très minoritaires, leurs intérêts convergent avec ceux des professionnels, dont les revenus sont indexés sur la hausse.
Le problème des prix de l'immobilier est également au cœur des débats sur la politique monétaire. Si des taux d'intérêt faibles sont censés stimuler l'activité et la croissance, ils génèrent également la création de bulles spéculatives sur l'ensemble des actifs, dont l'immobilier. Et la hausse des prix (logements et entreprises) peut venir annuler la croissance attendue de la baisse des taux, les banques ayant tendance à prêter plus pour les opérations immobilières que pour les activités manufacturières.
En tout état de cause, il résulte de ces quelques observations sur les conséquences du coût du logement, la nécessité urgente pour la classe politique de renouveler ses schémas d'analyse, sachant que le débat du logement est un champ de mines et d'intérêts contradictoires. En Angleterre, le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, l'a parfaitement compris en inscrivant dans son programme la baisse des coûts du logement. Et en Allemagne également, de longue date des mesures ont été prises pour limiter la spéculation, notamment avec un système fondé sur la transparence du marché et permettant un mode d'encadrement des loyers : le miroir des loyers.
[1] La dépense publique en faveur du logement représente plus de 40 milliards d'euros et 1,9 % du produit intérieur brut, selon le rapport d'information du Sénat n° 99 du 21 octobre 2015.