Faire à nouveau société politique, ensemble

Special FIAC.

En France, aujourd'hui, on observe une césure franche entre art et politique. D’un côté, la politique qui traverse une sombre période. Les français s'en désintéressent, ils n'y trouvent plus ni la ferveur ni le rassemblement. L’offre électorale ne leur convient pas. Ils errent de discours en discours, toujours déçus. A contrario, l'art, de son côté, a la côte. Phénomène de mode ou réelle implication du public, la fréquentation des musées se porte bien. En quatre ans, de 2010 à 2014, les entrées ont augmenté de 13%. Sur le marché de l’art, les petits acheteurs sont de plus en plus nombreux, et les transactions privées prennent le pas sur les ventes officielles qui viennent de chez Christie’s ou Sotheby's. Le monde de l’art a connu une période difficile après la crise, mais commence lentement à se remettre sur pied.

Si la politique est délaissée, c'est que sommes entrés dans une ère où la séduction a dépassé la réflexion. Chaque parti tire vers lui la couverture essayant de démonter les programmes adverses non pas en avançant des arguments plus forts et plus réfléchis, mais en blâmant les idées des autres. Il n’y a plus de place au débat. Il faut réagir rapidement, sur ce que l’on pense entendre, sans prendre le temps de l’écoute réelle. Nous sommes face à des guerres de clans où l’enjeu ne serait plus d’expliquer les faiblesses de l’adverse et d’y apporter une meilleure solution, mais de tenter de l’assommer plus fort. La politique ne parle plus de politique. La France aurait-elle abandonné sa capacité à penser ?

L’État a tendance à délaisser l’art et plus largement avec lui, la culture. Premier budget amputé, subventions mal réparties, le monde institutionnel n’est pas aidé. Sophie Makariou, directrice du musée Guimet, mettait à l’index en ce début d’année, la mal-distribution du budget pour les petits musées vis-à-vis des grandes institutions. Le Musée du Quai Branly reçoit 42,3 millions d’euros de subventions quand le musée Picasso n’en reçoit que 3,3 millions. Des écarts qui ne favorisent ni les investissements des lieux d’art ni la fréquence de visite de leurs publics. Ce délaissement culturel s’expliquerait-il par une érudition en déclin de nos représentants actuels ? Depuis les années 1970, les dirigeants de France ont su marquer de leur trace le paysage culturel : l’inauguration d’une gigantesque extension du Musée d’Art Moderne et Contemporain ; le centre Georges Pompidou à Beaubourg (1977) ; la mise en place de la fête de la musique (1982) et la construction et l’aménagement de la Bibliothèque Nationale Française (1994) ; le musée du Quai Branly-Jacques Chirac (2006). Bien sûr on peut s’interroger sur les réelles motivations de la création de ce type d’institutions : marque historique, personnelles ou réelles préoccupations culturelles ? Mais toujours est-il que les lieux et les manifestations sont nées. Qu’en est-il depuis 2007 ? Où est l’avancée culturelle ? Quelle place la culture occupe-t-elle dans le cœur des représentants ?

Ce lieu de débat que fuient les politiques, cette place qu’ils n’accordent plus aux institutions, l’art s’en est emparé. L’artiste d’aujourd’hui, l’artiste contemporain, est un penseur, il permet au monde de s’ancrer dans le réel. Il aide à la compréhension de ce qui l’entoure. Il n’est plus celui qui se met au service d’une mimésis historique, ni celui qui s’emploie à décrire la nature avec vraisemblance. L’artiste aborde des affaires politiques graves, cherchant à ouvrir les controverses, constatant les problèmes qui s’enterrent doucement sur la planète (l’immigration mise en esthétique par une fresque éphémère de Thomas Israel), ou dénonçant les conflits et les crises, cherchant la représentation du mal être (Marwan Moujaes, 40 days of mourning, 2015), certains même rient de cette société qui va mal et qui s’écroule peu à peu rongée par des maux profonds (Maurizio Catalan, La nona ora, 1990 ou plus récemment Frank and Jamie, 2005 ou encore son projet du magazine TOILETPAPER qu’il codirige avec Pierpaolo Ferrari).

Depuis l’explosion du pop-art, l’art conteste. La frange entre art politique et art social est fine. Alors que Mika Rottenberg illustrait de manière cinglante, au Palais de Tokyo, l’absurdité effective de nos sociétés, Bansky et le street art explosent, démontant par des collages et des frises sur murs les questions d’immigration et de prise de position sociale. L’art est dans la rue et l’indignation se libère de tout carcan institutionnel. Le débat, les questionnements sur ce qui nous entoure, sur ce qui façonne nos vies, c’est bel et bien l’art qui les soulève. L’artiste nous pousse à percevoir ce que nous ne voulons pas. Il oblige à voir plus loin, à comprendre, à tâcher de comprendre. Il n’apporte pas de solution. L’action réelle est à l’État, mais il appuie là où la douleur est endormie. Il laisse place à la réflexion là où elle s’efface peu à peu de la scène politique. Peut-être serait-il bon que cette dernière s’éveille et qu’elle mesure toute la richesse qu’elle pourrait acquérir à ouvrir le dialogue. Mais il faut du temps pour penser, et 2017, c’est demain.

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