Justice : quelques abus de pouvoir

Parmi les douze propositions de réforme de la justice proposées par un sondage, publié en 2002 dans l’Expansion, vient en deuxième position, avec 76 % de réponses positives, « la création d'un conseil supérieur de la justice composé de non-magistrats, destiné à contrôler les juges et à trancher les litiges entre juges et justiciables ».

Par Jean-Michel Andreau et Xavier de Fontgalland, avec la participation de Corinne Morel.

La Justice, première des fonctions régaliennes, est le grand corps malade de notre République.

L’abus de pouvoir par la gestion du temps

L’attente de la prochaine audience qui se transforme en un « sursis à statuer », sa « remise pour pièce nouvelle » ou encore l’absence de l’avocat ou du magistrat (parfois sans préavis), engendrent chez le justiciable un épuisement doublé d’une sensation de mépris qui peuvent conduire à des dommages sévères. À chaque fois, ce sont des frais de transport, des journées de congé posées, une désorganisation de la vie professionnelle et familiale, stress maximal, problèmes avec les proches, notamment les enfants, maladies psychosomatiques, dépression, séparation et divorce, voire suicides dans les cas les plus extrêmes.

Ces délais sont la conséquence du mal judiciaire et non sa cause. La trop grande latitude laissée aux juges dans l’interprétation des lois et des faits, non seulement ne protège pas de l’arbitraire mais complexifie les dossiers, et entraîne de facto une multiplication des procédures, valse des intervenants, engorgement des tribunaux et donc augmentation des coûts financiers. Les magistrats et les auxiliaires de justice sont responsables de la lenteur et de la longueur des procédures, pouvant être constitutives par ailleurs de fonds de commerce précieux pour certains auxiliaires, au détriment des justiciables. Celui qui est dans son bon droit souffre de l’augmentation des délais et — compte tenu des préjudices qu’il subit — ne souhaite pas une justice expéditive mais un jugement éclairé, qui cherche la vérité.

L’obscurantisme entretient le mensonge. D’ailleurs notre justice l’autorise dans les écritures, à l’inverse du modèle anglo-saxon qui le bannit, c’est l’une des causes du mal judiciaire français. Car le mensonge ralentit en les complexifiant les affaires à traiter.

L’abus de pouvoir par le silence

L’adage plein de bon sens « qui ne dit mot consent » n’a paradoxalement aucune valeur sur le plan juridique. Celui qui se tait est considéré comme ayant raison au bénéfice du doute, ce qui peut être dramatique. Or, ce n’est pas confondre droit et morale, ni violer les consciences ou contraindre à l’auto accusation, que d’admettre qu’il peut exister une culpabilité ou une complicité par omission du sachant qui se tait. La vérité ne se morcelle pas et « le devoir de réserve s’arrête là où commence l’iniquité » selon l’arrêt Gartside c/Outram (UK, 1856), cité par Transparency International France.

Ce principe existe dans d’autres pays développés. Il est déjà dans notre code pénal pour les trafiquants de drogue et les proxénètes. Pourquoi ne pas le généraliser, y compris dans les procédures civiles, écrites ? Réajuster ainsi le droit français permettrait de combattre avec efficacité la corruption par la reconnaissance de la responsabilité des sachants qui, par leur silence, couvrent les dysfonctionnements. Il faut agir autant à la source, en supprimant l’impunité, et en aval, en protégeant les lanceurs d’alerte. Les retombées positives seraient considérables, pour les victimes comme pour l’image et l’économie de la justice.

Si l’on autorise le mensonge dans les écritures, tous les coups sont permis et la loi du plus fort s’impose. Le conseil de base « trouvez-vous un bon avocat ! » résonne comme l’aveu des abus de pouvoir du monde judiciaire. Contrairement à une idée reçue, en France, la justice peut coûter très cher. Alors, oui à l’indépendance de la justice, mais dans le cadre de la loi. Le juge est en-dessous du texte de la loi et du peuple, et non au-dessus !

Qui peut mieux parler de la justice que ceux qui sont allés en justice ?

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