La démocratie survivra-t-elle à l’asphyxie d’un régime oligarchique ?

L’oligarchie repose sur un travail parlementaire d'élus peu représentatifs de la diversité des français, commentent Jean-Claude Devèze et Bernard Ginisty (membres du Pacte civique).

Notre démocratie représentative est à bout de souffle. Non seulement près de la moitié des inscrits sur les listes électorales se sont abstenus aux élections départementales et régionales en 2015, mais les votants ont promu un tripartisme (extrême droite-droite-gauche) qui remet en question le fonctionnement de nos institutions, fondées sur le clivage en deux camps et la possibilité d’alternances. À ceci s'ajoute la polarisation croissante autour d'une élection présidentielle qui désigne le président d’un régime oligarchique s'appuyant sur une administration bureaucratique.

En 2011, le journaliste et essayiste Hervé Kempf publiait un ouvrage intitulé « L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie », qu’il est utile de relire pour comprendre la situation actuelle. « Il est de l’intérêt des puissants de faire croire au peuple qu’il est en démocratie. Mais on ne peut pas comprendre le moment présent si l’on n’explore pas la réalité soigneusement occultée : nous sommes en oligarchie, ou sur la voie de l’oligarchie[1] ». Pour l’auteur, il ne s’agissait ni de dictature, pouvoir d’un seul pour ses intérêts propres, ni de démocratie, pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple, mais « du pouvoir de quelques-uns qui délibèrent entre eux des solutions qu’ils vont imposer à tous ». La façon dont a été décidé par le président de la République, le 23 décembre 2015, de l'insertion dans notre constitution de la déchéance de nationalité, sans un réel débat en conseil des ministres, en est une illustration, la manifestation emblématique de notre oligarchie obnubilée par les échéances électorales de 2017.

Dans le cas du travail législatif, l’oligarchie repose sur un travail parlementaire d'élus peu représentatifs de la diversité des français vu leur âge, leur origine et les nombreux cumuls de mandats dans le temps et dans l'espace. Le sursaut du second tour des élections régionales adressait à ces élus un message, celui de faire de la politique autrement, afin de nous redonner confiance en leur façon d'exercer leurs responsabilités et de trouver avec nous, les citoyens, des solutions à nos problèmes.

Tout d’abord, pour se rénover, notre démocratie représentative doit s'appuyer sur une démocratie citoyenne qui repose non seulement sur le vote des citoyens mais aussi sur leur implication dans les décisions qui les concernent et, si possible, une mise en œuvre et/ou un contrôle de ces dernières. Un levier important pour promouvoir la démocratie citoyenne est la promotion de la démocratie délibérative. Il s’agit de préparer les décisions difficiles en aidant les citoyens à clarifier les points de désaccord, à discerner ce qui est important pour le bien commun. Il s’agit de trouver des voies pour élaborer des compromis constructifs, en tenant compte de l'avis de ceux qui ne sont pas d'ordinaire entendus.

Commentant le propos de l’économiste indien Amartya Sen pour qui « la politique de la démocratie donne aux citoyens la chance d’apprendre les uns des autres », Hervé Kempf soulignait que « le cœur de la démocratie n’est pas l’élection, mais la délibération, par laquelle nous apprenons les uns des autres[2] ». C’est dire que la démocratie est bien un processus permanent et non une oscillation au hasard des élections, des oligarques, du populisme et de la démagogie. Elle ne vit pas de spectacles médiatiques mais du travail de chacun. Pour Charles Péguy, la démocratie était incarnée par : « les travaux propres, les efforts probes, les patiences, les pratiques sobres de la solidarité[3] ».

[1] Hervé KEMPF : L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie. Éditions du Seuil 201, page 9

[2] Idem, page 148-149

[3] Charles PEGUY : Œuvres en prose complètes. Éditions Gallimard, La Pléiade, Tome 1, page 1261

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