La Fayette contre l'État islamique

Armé de mots et de symboles, des mêmes solides intentions prosélytes que leur ennemi, l'État Islamique, et des mêmes outils de communication numérique, un groupe anonyme d'anciens soldats français se mobilise sous la bannière d'une page Facebook intitulée Task Force Lafayette, en écho à la brigade La Fayette, une unité des forces françaises en Afghanistan en activité de 2009 à 2012.

Ce groupe militairement expérimenté se prépare à rejoindre les forces armées du Kurdistan irakien, les peshmergas, afin d'apporter aux Kurdes une véritable expertise stratégique, tactique et technique qui, si elle ne saurait remplacer ce que des décennies de conflits leurs ont inculqué, ne peut que concourir à une poursuite victorieuse de la lutte contre l’État Islamique (...),  précise un message adressé aux partisans et amis, posté le 8 septembre 2015 et signé par Nova.

Dès son apparition dans l'écosystème du réseau social Facebook, cette nouvelle étoile n'a pas manqué d'attirer l'attention de la presse. Quinze jours environ suffirent pour lancer la Task Force Lafayette avec un premier article (L'Obs), rapidement suivi par d'autres médias (Médiapart, 20 Minutes, France Info, etc.).

Ce qui est surprenant dans cet événement, et éminemment nouveau en France, ce sont les techniques de communication employées par ce corps de volontaires non-rémunérés, engagé dans une (...) entreprise non-seulement militaire, mais aussi civique, morale et vertueuse, selon leur déclaration, très similaires à celles employées par les forces du salafisme djihadiste, que ce groupe souhaite combattre au nom d'un mouvement, affirme-t-il, apolitique et aconfessionnel.

Leur appel à la guerre s'énonce sous l'égide d'une figure de l'indépendance, héros des deux mondes, français et américains, La Fayette contre l'État Islamique et ses violences perpétrées au nom du prophète Mahomet. On retrouve, en lisant les justifications et les explications du groupe, les mêmes accents exaltés d'une rhétorique guerrière (...) nos adversaires sont les hordes fanatiques de l’État Islamique ; nos alliés, tout ceux qui les combattent (texte publié le 17 septembre 2015) car si la lutte doit être totale et décisive, nos engagements ne doivent, de la même façon, souffrir la moindre hésitation : si nous pouvons mener la lutte, vous seuls rendrez la victoire possible (texte publié le 21 septembre 2015). Et puis il y a l'argent, l'indispensable collecte, l'appel à la générosité publique, sur internet, à la façon d'un projet de startup, pour soutenir un effort de guerre, privée, dont personne ne connaît pour l'instant les détails.

Dans son ouvrage, Paroles armées, sur les moyens mis en œuvre par le salafisme djihadiste, le philosophe Philippe-Jospeh Salazar indique que la propagande du Califat est claire : il faut tuer tout représentant en uniforme de l'État où le djihadiste vit, en attente de la reprise du territoire ou de sa prise par l'armée régulière du Califat. Pour la communication de la Task Force Lafayette autoproclamée, comme l'est le Califat, la réponse doit être à la hauteur de l'enjeu, être symétrique, quasiment point par point, au radicalisme de l'État Islamique.

Faut-il s'en réjouir ? Paraphrasons plutôt en remplaçant Dieu par la République, les vers cités par le savant philosophe Abd el-kader qui, en 1858, dans sa Lettre aux français, vantait les mérites de l'écriture avec un roseau : Tel est le statut décrété par la République / Pour les roseaux à écrire / une fois qu'ils sont taillés : / les sabres sont pour eux des serviteurs / une fois qu'ils sont affilés.

Car, selon l'émir, Dieu (la République) et les biens terrestres ne se maintiennent que par deux choses : le sabre et le roseau.

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