"Le soin, en devenant un bien de consommation, entrainera l’application du droit de la concurrence et des contrats commerciaux, précise Sylvie Ratier (juriste spécialisée dans le droit de la santé, membre de la fédération des Cafés citoyens)"
L’article 1 de loi santé pose les bases d'un système de soins très différent de l’existant, de ses valeurs à son organisation, en passant par son financement. Il redéfinit le contrat de soin, la responsabilité civile médicale, la protection du patient et va même jusqu’à redéfinir la protection sociale dans sa globalité. Un projet en phase avec un objectif majeur et unique, celui de diminuer les dépenses publiques de santé et de trouver une autre source de financement, ou du moins des « partenaires » capables de faire de « l’avance de trésorerie ». Mais les financeurs du système de santé, actuels et futurs, sont et seront toujours ceux qui payent des impôts, des cotisations sociales et des assurances complémentaires, les citoyens en somme !
En réunissant la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST), la loi Fourcade, l’Accord national interprofessionnel (ANI), la loi Leroux, puis enfin la loi Hamon et le décret Montebourg, les ingrédients de la nouvelle loi disposent d’un cocktail explosif, un nouveau système de santé à consommer avec modération. En effet, la médecine, définie jusqu’ici comme une activité civile se déroulant dans le cadre d’un contrat de soins (celui de la responsabilité civile médicale depuis 1936) établi entre un praticien et son patient (le premier exécute un soin, le second le paie), s’en trouvera profondément transformée. Le soin, en devenant un bien de consommation, entrainera l’application du droit de la concurrence et des contrats commerciaux. Hippocrate, qui préconisait la prohibition du commerce de la médecine, s’en étranglerait.
Le principe d’indisponibilité du corps humain est une règle non écrite dont l’existence est affirmée par la Cour de Cassation. Issu des théories du droit naturel, il trouve notamment sa consécration jurisprudentielle avec la prohibition de la maternité de substitution en 1991. En France, « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Ce principe, rattaché à la notion de dignité, constitue une spécificité du droit français, qui n’existe pas en droit américain par exemple. Le corps est d’autre part affirmé par le Code Civil comme n’étant pas une chose qui puisse faire l’objet d’un contrat : « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions. » La primauté de la personne et la non patrimonialité du corps humain sont clairement posées. Enfin, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) avait formulé cette notion d’indisponibilité du corps humain dès le début des années 1980 et clairement affirmé en 1990 : « Nous donnons ainsi l'interprétation la plus extensive possible à la notion de dignité du corps humain. L'utilisation acceptée par atteinte, si faible soit-elle, à l'intégrité corporelle ne saurait s'accommoder d'autres finalités que celle de la santé. » Ensuite, l’accès aux soins ne doit pas être un marqueur social.
C’est la révolution française qui fait apparaître une nouvelle conception de l’assistance pour remplacer les solidarités restreintes exercées dans le cadre familial ou corporatiste. Cette logique, organisée pour Tous par l’État, trouvera sa consécration en 1945, avec la première tentative de création d’une sécurité sociale qui apparaîtra, dans ses principes et sa forme, telle qu’elle l’est encore aujourd’hui, une logique de prise en charge des soins publiques, solidaires et universelles.
La loi de santé 2015, associée au Projet de Loi Financement de la Sécurité Sociale 2016 (PLFSS) crée un droit à la protection de la santé de chacun, mais dans quelles conditions pratiques, puisque l’ANI, en créant la complémentaire obligatoire financée par les employeurs, est potentiellement la source de profondes inégalités entre les salariés.
Alors sans doute, oui, des changements sont nécessaires pour permettre à notre système de soin de continuer à refléter l’exception française mais, auparavant, n’aurait-il pas été judicieux de définir ce qu’est la santé ? Et d’éviter les quiproquos sur des notions telles que « contrat de soins » ou « réseau » ? Afin de définir comment protéger les patients si le cadre contractuel qui encadre la responsabilité civile médicale directe vole en éclat ? Afin de déterminer quelle protection souhaitons-nous, à quel prix et avec quels moyens ?
Questions pour l’instant toujours en suspens.