La nouvelle Françafrique

La culture africaine, irriguée d’un savoir-vivre positif et bienveillant, doit nous engager à troquer un individualisme stérile contre des projets bénéfiques. Des solutions concrètes existent. Elles doivent nous inspirer.

Par Thierry VINCENT, Chef de projet Innovation de l’ARENE Ile-de-France, Nadia Mordelet, vice-présidente de La Marche Citoyenne, et Jacqueline KLOTZ

Nous avons construit l’Europe pour avoir des échanges privilégiés avec les pays géographiquement proches. Pourquoi ne pas construire avec l’Afrique une institution comparable, puisque nous sommes en relation par la langue et par l’Histoire ? L’enjeu est d’importance. Il ne s’agit ni plus ni moins que de réinventer les principes de la coopération en privilégiant des échanges interculturels respectueux de l’indépendance de chacun. Ni aider ni envahir mais devenir complémentaires. Ne plus plaindre de loin ni imposer de près des technologies qui ne tiennent pas compte du contexte. Il faut sortir les politiques de développement de ces ornières et miser sur de réels échanges socio-économiques, culturels et politiques. La culture africaine, irriguée d’un savoir-vivre positif et bienveillant, doit nous engager à troquer un individualisme stérile contre des projets bénéfiques. Des solutions concrètes existent. Elles doivent nous inspirer.

À ce titre, la valorisation du Typha Australis, roseau à croissance rapide dont la prolifération dans le bassin du fleuve Sénégal s’est fortement accélérée après la construction de barrages, est un projet inspirant de coopération franco-africaine. L’ampleur du phénomène – entre 60 000 et 80 000 hectares Typha sur l’ensemble du bassin – et sa dynamique – une progression variable selon les milieux, d’environ 15 % par an en moyenne –, sont inquiétantes. Les impacts sont nombreux et touchent la société sénégalaise à plusieurs niveaux.

Sur le plan de la santé publique, la présence du typha est un vecteur de transmission des maladies d’origine hydrique. Il impacte également la sécurité des approvisionnements en eau avec la colonisation du lac de Guiers alimentant Dakar. Il fait partie de l’équation de la prévention des risques naturels (comblement des zones d’inondations), de celle du maintien de la biodiversité (eutrophisation), et de la pratique d’activités économiques (inaccessibilité de la pêche et de la navigation, envahissement de terres agricoles). Et les efforts engagés au cours des trente dernières années n’ont pas encore permis d’endiguer la progression du typha, malgré le potentiel de valorisation de cette biomasse considérable. Mais il existe des solutions. Ainsi, deux axes de transformation en cours de définition répondent à une stratégie d’exploitation à très grande échelle.

En tant que matière première combustible pour la production d’énergie, la valorisation du typha sous forme de bio-charbon s’inscrit dans une logique de substitution au charbon de bois contribuant à la lutte contre la déforestation (le bois énergie représente 84% de la consommation énergétique des ménages sénégalais). Le typha peut être aussi considéré comme un matériau de construction aux propriétés isolantes (ressources végétales en matière première renouvelable pour un secteur très énergivore et stockage de carbone à long terme) et adaptées au contexte climatique d’un pays chaud.

Outre un travail fouillé sur la connaissance de ce parasite végétal, ses utilisations actuelles et potentielles, les recherches menées et les premières réalisations pilotes ont permis de caractériser les propriétés isolantes de la plante comme matériau de construction, et surtout de démontrer l’intérêt réel de son utilisation dans des bâtiments efficaces en énergie. Compte tenu de la quantité de biomasse que représente le typha sur l’ensemble du bassin du fleuve Sénégal, l’enjeu est désormais la structuration d’une filière amont-aval transfrontalière bénéficiant des acquis sénégalais et mauritaniens.

Typha combustible ou Typha constructible, l’articulation de ces deux approches vise à intégrer, à chaque étape de la filière, la diversité des débouchés potentiels, « combustible » et « matériau de construction », en tenant compte de certains verrous scientifiques, techniques et organisationnels, qui doivent encore être levés pour mettre en cohérence les acteurs impliqués dans cette filière en émergence. Car sans stratégies économico-sociétales adaptées à l’environnement, aux contraintes et aux atouts locaux, point de développement. L’exemple de ce partenariat franco-africain en est une illustration et les possibilités de valorisation de ce végétal parasite ne cessent de nous surprendre.

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