En condamnant le groupe Leclerc à rembourser 46 fournisseurs (de produits tels que la charcuterie, les produits laitiers, la conserve, la confiserie) de 61,3 millions d'euros, jugés abusivement perçus par le distributeur lors des négociations de fin d'année, la cour d'appel de Paris, avec son arrêt du 1 juillet 2015 en réponse à la plainte déposée en 2013 par l'État français, a donné à l'entreprise une interprétation onéreuse de l'esprit d'innovation promu par ce pionnier du développement durable entraînant dans sa dynamique clients, fournisseurs et distributeurs concurrents.
Selon le communiqué du ministère de l'Économie et des Finances antérieur à la plainte, l’enseigne a, en effet, inséré dans son contrat type une clause qui oblige chacun de ses fournisseurs, en cas de contentieux introduit par un tiers au contrat, y compris le Ministre chargé de l’économie dans le cadre de sa mission de gardien de l’ordre public économique, à intervenir en justice pour défendre le contrat. (...) Cette clause prive le fournisseur de la possibilité de ne pas intervenir au procès et le place dans la situation de devoir choisir entre défendre ses propres intérêts, au risque de mettre en péril sa relation avec le distributeur, ou se ranger aux cotés de ce dernier, le cas échéant en allant à l’encontre de ses propres intérêts.
Mais cette condamnation n'empêche pas Michel Édouard Leclerc d'annoncer dans un billet postérieur à l'arrêt, sa remise en cause par le groupement d’achat des centres E. Leclerc en Cour de cassation car, écrit-il, derrière cette stratégie, ce que veulent les énarques de Bercy, c’est garder leur capacité de contrôle et pouvoir remettre en cause le prix négocié par les industriels et les distributeurs.
Sans vouloir entrer dans les détails de l'amende civile de 2 millions d'euros en plus des remboursements, ni de la question des remises au service des prix les plus bas ou des poches du distributeur, ni encore des arguments de M. E. Leclerc, défenseur du principe de libre négociation des tarifs selon les forces de chacun, 61,3 millions d'euros reste une belle somme. Elle fixe une échelle de valeur, à l'image des efforts que sont prêts à consentir les fournisseurs pour accéder aux clients, fournit une idée du poids des arguments dans la négociation de celui qui détient le guichet d'accès, et rappelle à ceux qui l'aurait oublié qu'il n'y a pas de libre échange sans politique, ni de politique sans citoyen, et que le client aimerait bien être pour une fois le roi de quelque chose.