Avec une jolie vitrine et des gens pour la regarder, il n’est pas nécessaire de bien gérer l’ensemble. Pour les croisiéristes, le réseau pathétique de transports en commun de la Ville n’est pas un problème. Ils ont leur circuit préprogrammé.
Par Philippe Pujol, journaliste, prix Albert Londres
Depuis le début, la municipalité Gaudin a pris le chemin de la dissimulation. Rien n’a été jamais tenté pour résorber ne serait-ce qu’un peu les inégalités qui séparent les habitants de Marseille. Le rapport de l’OCDE de 2013 avait décrit ce fossé qui se creuse toujours plus sur l’aire métropolitaine, Jean-Claude Gaudin en avait finalement comme déchiré les pages préférant mettre en avant l’autre partie du document : un « territoire dynamique au potentiel indéniable ». Car le Maire depuis 20 ans a parfaitement su tirer à lui les plus belles couvertures de ses prédécesseurs et les jeter sur le fossé qui écartèle la ville.
L’immense projet de rénovation urbaine qu’est Euroméditerranée en est un parfait symbole. Initiative du Maire précédent, Robert-Paul Vigouroux, le président du Conseil Régional PACA d’alors, Jean-Claude Gaudin, n’en voulait pas. Lui, c’était l’Europole de l’Arbois. Un développement vers la Provence plutôt que vers la Méditerranée. D’ailleurs, Jean-Claude Gaudin, ministre de la Ville en 1995, avait tenté de bloquer le projet qui lui a cependant survécu, car déjà acté par Edouard Balladur avant lui.
Aujourd’hui, si Euroméditerranée a profondément changé l’aspect des quartiers longeant le port commercial de la ville, si le projet reste un outil pour enfin permettre un développement économique en berne depuis 20 ans, l’ouverture à la Méditerranée reste un échec. Marseille n’en est pas devenue la capitale comme cela serait pourtant naturel. Les rares secteurs qui en bénéficient restent l’immobilier et le BTP. Mais le voile est beau ; une belle vitrine pour la ville. Le merveilleux MuCEM à l’entrée du port apparaît dans toutes les vidéos promotionnelles de la Ville de Marseille. Là aussi pourtant, Gaudin n’en voulait pas, préférant mettre là une marina qu’il ne parvenait finalement pas à imposer. Qu’importe, les marseillais l’aiment désormais leur musée National, Gaudin s’en déclare donc à l’origine.
Voilà qu’arrivent donc les croisiéristes, plus d’un million par an, que l’on trimbale en petit train-train du MuCEM à la Bonne Mère puis au centre commercial des Terrasses du port pour qu’ils y dépensent un maximum d’argent. Un tourisme idéal pour un Maire qui de sa ville n’en a que faire, ou ne sait qu’en faire. A ces touristes est cachée l’arrière-boutique, la misère du troisième arrondissement pourtant collé à Euroméditerranée ; les quartiers les plus pauvres de France. Toutes les misères s’y accumulent, misères financières, misères sanitaires, misères sociales, puis rapidement éducatives et culturelles. Et désormais l’appauvrissement constant crée des groupes par niveau d’intégration, plus que par communautarisme d’ailleurs.
Avec une jolie vitrine et des gens pour la regarder, il n’est pas nécessaire de bien gérer l’ensemble. Pour les croisiéristes, le réseau pathétique de transports en commun de la Ville n’est pas un problème. Ils ont leur circuit préprogrammé. De même, la pauvreté de l’offre commerciale de proximité, petites boutiques et gargotes agréables, de la majorité des quartiers de la ville n’a pas à être résorbée. Puisqu’il suffit d’accumuler quelques restaurants attrape-touristes sur le passage des croisiéristes. Marseille leur est finalement cachée d’ailleurs. Le plan de la ville qui leur est remis à l’office du tourisme montre un Marseille sans quartier Nord. Et tant pis pour le port de l’Estaque où sont passés tant de peintres et où se trouve le trop méconnu musée de la fondation Monticelli. Tant pis pour le parc de Fond Obscur qui compte parmi les plus beaux de la
ville. Tant pis pour la ferme bio « La Tour des pins » au milieux des cités des Flamants, de Picon et de la Busserine. Tant pis pour les habitants
eux-mêmes qui se montrent pourtant accueillants pour peu que l’on s’intéresse à eux sans trop d’arrière-pensée. Mais tant pis surtout pour Marseille elle-même, pour son développement, pour sa richesse culturelle toute méditerranéenne.
Car dans ce projet, la Méditerranée ne fait qu’amener des marées de touristes à qui l’on montre la Provence d’antan, celle de la Bonne Mère et des pêcheurs du Vieux Port aux filets colorés, celle d’un cinéma noir et blanc à l’accent chantant. Un monde factice.
Pourtant Marseille a de quoi aguicher. Sa jeunesse. Si Marseille ne perd pas d’habitant, c’est uniquement parce que les quartiers populaires font beaucoup d’enfants. Les classes moyennes, elles, s’enfuient. Quand on ne trouve pas de crèche, que l’école publique est malmenée, que les équipements sportifs sont presque inexistants, que les cinémas ferment un par un, qu’il y a de moins en moins de théâtres, que l’emploi ne vient pas, que les impôts locaux augmentent toujours dans une ville toujours plus sale aux routes toujours plus défoncées, et qu’on comprend bien que rien ne va changer, ceux qui en ont les moyens partent en regrettant le gâchis. Les habitants des quartiers populaires eux, coincés sous leur plafond de verre habitent pleinement leur quartier, leur ville. Un dynamisme rarement accompagné et généralement ignoré. Tous ces jeunes qui réalisent les clips du rappeur du coin, ces minots qui s’affrontent dans des battles de couper-décaler, ces dégourdis qui montent des petits business dans l’économie légale plutôt que dans celle qui fait mourir par balle, ces habitants qui n’aspirent pour la plupart qu’à bosser pour se construire une vie qui n’est pas celle de Scareface, tous devraient représenter la force de Marseille. L’avenir. Celui d’une ville entière, dont l’identité est justement sa diversité. Une ville Méditerranéenne ouverte plutôt qu’un village provençal traditionnel replié sur lui-même. Il serait temps de changer d’époque.