Jubilons avec Gérard Garouste

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L'exposition Gérard Garouste à la Fondation Maeght vient de se clore le 29 novembre après quatre mois d'ouverture au public. C'est un événement artistique, près de quatre-vingt œuvres à l'accrochage judicieux.

Il y a une œuvre

Le peintre y tournait en public un documentaire pour le finissage, nous avons eu la chance d'y assister. Pour qui ne connait pas le travail et la vie de Gérard Garouste, nous devons préciser plusieurs points. De tous temps, des artistes ont basculé dans la déraison, la liste est longue de Nerval à Van Gogh en passant par Artaud, Goya, Moussorgsky. La dite folie n'est pas un sésame pour produire une œuvre qui tienne la route et déborde le cadre du saisissement et de l'empathie mêlée d'effroi devant les affres pas toujours jugulées d'une âme et une  psyché en proie aux plus grandes tourmentes.

Garouste est sujet à de profonds troubles de la personnalité. Maniaco-dépressif d'envergure, son existence est ponctuée d'enfermements suite à des bouffées délirantes. La houle le pousse sur des rivages sur lesquels il arrive à peindre. De façon cyclique, il perd pied.

Il y a une maladie

Parler de sa maladie pourrait paraître une indiscrétion mais elle est tellement à l'œuvre dans son travail, la puissance burlesque de ses travaux le prouve, elle est le cœur, le poumon, la tonalité dominante.

Les petits formats 40 x 60 nous montrent avec une ironie acérée un goût pour la magie, la Marionnette à la robe rouge de 2015 (aux bas noirs de french cancan), l'Oiseleur, sont très proches des portraits de poche du Moyen Age. La farce n'est jamais loin, chaque double se moque de son masque, les chimères abondent, les tours piègent tout en nous disant la réversibilité, satire et satyre marchent de concert.

Il y a des ânes

La présence des ânes indique que nous sommes en plein conte. La passion du Livre pousse Garouste à le brûler et le dévorer ; ses épisodes de folie hallucinée sont transfigurées par une peinture à l'huile à la fois suggestive et opaque. Beaucoup de choses sont montrées, la charge libidinale et onirique un tombereau chargé et, en même temps, la sursignifiance des stigmates, d'éléments de preuve d'un désordre psychique et pictural pose un voile. Le chaos, à force d'être tant ostentatoire, fait sourire. Le peintre se joue de nous, il explore les épisodes délirants en les légendant.

L'oubli de soi est rendu impossible, non probant.

Il y a des arabesques

A la fois le sujet et l'objet de la peinture, le peintre mal embarqué, agitant un mouchoir blanc dans son cercueil rouge sur une mer agitée, vaut tous les manifestes : suis-je un autre, suis-je faune ou fada ? Plus loin, la difformité du fumeur de cigare ; devenu lui-même une arabesque zébrée s'échappant de la lampe d'Aladin, nous fait tanguer de l'humour potache et fantoche à une autre amertume tragico-comique.

La plupart des œuvres montrées à la fondation Maeght relèvent de l'eschatologie. Un espièglerie venue tout droit de Breughel, passé par Goya et les contes de Panaït Istrati, une vison baroque des Évangiles. En faisant ceci, l'articulation du grotesque à la fantaisie, la relecture des mythes criblée par sa chanson de geste personnelle balafrée, lacérée et maquillée, procède du classicisme, il est un personnage qui joue au bouffon, il est un marin échoué, un marcheur contrefait, un gnome ahurissant et tétanisé.

Il y a des fantômes

Classique dans la mesure où il exécute la peinture, la mène à bien, fort d'une gestion habile des ombres et des empâtements. Que ce soit le Loup et le Renard, un petit auto-portrait de 40 x 70, un avec un masque et un renard apprivoisé, l'Harfaing et la souris rouge et son arrière-fond des bas-reliefs érotiques déchaînés, on ne peut penser qu'à la schize qui agite par exemple Unica Zürn dans l'Homme-Jasmin. Le motif vampirise la faculté d'énonciation. Les signes noués en disent trop, étouffant le silence. Nombre de fantômes sont au rendez-vous : certains ont oublié le texte, d'autres dévoré la partition. Tout tient dans une farandole de paraboles : le sorcier, les esprits et le savoir, le muletier et le mendiant.

Il se passe une transmutation ; l'état animal, l'état virginal, l'état hanté abrase l'un sur l'autre les identités. Charançon, hanneton, phénix.

Il y a une jubilation

Des tableaux paroxystiques enfoncent le clou, la toile de 2011 l'Anesse et la Figue puis l'Homme qui lit même dans son dos offrent avec ces corps disjointés un catalogue des dissociations que le médecine appelle psychotiques. Corps morcelé, tête avec des trous, symptômes ou totems, la rémanence de la folie vient scruter au fond le labyrinthe de la jouissance d'être fou. Cette dernière n'est pas qu'abominable tant le gouffre de l'irresponsabilité comporte des avantages indus. Il apparaît au bout de deux heures de visite qui nous ont empli de ravissement que l'ensemble des tableaux à fond biblique sont davantage tournés (comme un film) que détournés.

Sur un des grands tableaux, parade une sorte de table de la Thora à double arcade sur lequel est écrit :
« Un miroir. On l'y voit et
il s'y voit pas lui-même
il a fait tomber dans l'opprobre
ceux qui me foulaient aux pieds. »

Cette citation de Saint Augustin agit comme palimpseste.

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