Le conditionnel de la parole politique

Le matin du vendredi 18 septembre 2015, dans le cadre d'une rencontre organisée en comité restreint par le think tank de gauche En Temps Réel, dont l'un des trois objectifs est de comprendre, anticiper et préparer les nouvelles mutations de la société française, le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, selon les propos rapportés par la journaliste Ghislaine Ottenheimer, a remis en cause le statut des fonctionnaires. Dans la soirée du même jour, après avoir été démenti par le président de la République, il a déclaré à l'AFP : à aucun moment, je n’ai parlé d’une réforme du statut de la fonction publique que le gouvernement envisagerait (...). Les propos partiels rapportés donnent une vision déformée de ma pensée. Il ne peut y avoir aucune polémique à ce sujet.

Lorsqu'un ministre de l'Économie en exercice exprime publiquement, à un cercle restreint d'invités, en présence de journalistes, une opinion spéculative sur la direction d'une politique ou d'une réforme à mener, quel crédit ses interlocuteurs peuvent-ils accorder à ses propos ? Une certaine confiance. Ne sont-ils pas venus s'informer des dernières orientations politiques, s'en faire une idée plus précise afin de naturellement spéculer sur la situation ?

L'intervenant n'est pas naïf, il sait que des citoyens, sympathisants ou non, à l'écoute d'un membre du gouvernement, ne peuvent pas ne pas tenir compte de la dimension ministérielle de l'orateur. Ils se sont déplacés pour entendre un avis né de l'expérience d'une fonction et d'un statut. C'est à cette condition qu'ils écoutent. Comment pourraient-ils distinguer la nature des propos, trier les réflexions personnelles des dits officiels, et comprendre qui parle ? Le ministre ? L'homme politique ? C'est impossible. Il faudrait qu'ils deviennent des observateurs professionnels, les seuls filtres autorisés à traduire les discours des hommes politiques. Des manières peu démocratiques.

Non, le plus aisé pour ces citoyens intéressés par la parole publique serait encore de préciser les règles du jeu, une première règle simple : je suis une parole politique et je suis à écouter en fonction d'un contexte car une parole politique est une parole conditionnée à des contraintes extérieures que ne maîtrise pas celui qui s'exprime. Ils pourraient aussi déclarer qu'une parole politique est une parole qui s'écoute toujours au conditionnel, et donner des exemples. Dans le domaine, ils ne manquent pas :

Avec lui, ça va vite, c'est fin et c'est simple, déclarait François Hollande, en 2012, à propos d'Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Élysée.

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