Depuis la Libération, la politique de santé publique a connu en soixante-dix ans plusieurs bonds successifs. La visée en termes de planification était de vider les poches d'insalubrité. Étatisation, globalisation, délégation de tutelle sur les collectivités locales.
L'éradication de la variole et du choléra dans les pays développés a permis de soulager une bonne partie du personnel de soins liée à la prévention ; la vaccination obligatoire à l'école renforcée par les ordonnances de 1956 et de 1961 a enrayé un certain type de pathologies telle que la poliomyélite ou le saturnisme ; le tétanos ou la tuberculose ont été en partie endigués.
Le système de santé mis en place en France est hérité du Front Populaire, la fondation de la Sécurité Sociale a promu des idées nouvelles quant à la qualité de base d'une vie viable pour tous les citoyens, la création des dispensaires d'hygiène mentale par exemple a permis des hospitalisations courtes, journalières, qui n'ont pas clivé le patient dans l'exclusion. L'accès aux soins pour l'ensemble de la population reste un modèle idéal repris par nombre de pays, du Portugal au Pakistan, des pays baltes aux antipodes, Japon et Nouvelle-Zélande entre autres.
Ce maillage intensif et la volonté de répartition d' une médecine de proximité a pris un coup dans l'aile avec les dispositions prises par Rachida Dati de fermer les tribunaux et de Mme Bachelot de couper les fonds aux maternités de campagne. Le fameux principe de rentabilité a joué encore son rôle de couperet. Le désengagement de l'État est aussi parlant dans ce domaine que la vente de Sacilor au groupe Mittal en Lorraine pour un euro symbolique.
La qualité d'encadrement sanitaire est à la fois chance et une spécificité que beaucoup de nos plus proches voisins ( Espagne et Angleterre) nous envient. Cette civilité est dans la ligne de mire des agences de notation qui sévissent maintenant dans tous les domaines. Pour certains libéraux, cela reste un privilège. Bien se porter a un coût mais c'est aussi le produit d'une culture et d'une résultante de comportements. Hygiéniques, nutritionnels, sociétaux.
Tout corps est périssable et la vieillesse peut être prise pour une maladie. Des maux nouveaux sont venus s'ajouter à la kyrielle d'incidents de parcours : aux accidents du travail ont succéde le burn out, le harcèlement moral, le stress sous toutes ses formes. Et le marché de l'angoisse reste un fromage alléchant. La vente de psychotropes et d'antidépresseurs a atteint le chiffre faramineux de plus de 27% des médications ordonnées dans les métropoles ; plus d'un quart des remèdes prescrits concerne la gestion de l'intranquillité.
Qu'est-ce qui ripe, qu'est-ce qui ne va pas ?
Colmater les brèches n'empêche pas le navire de couler. Un outil particulièrement attachant dans les principes d'égalité et de souci de la collectivité est devenu un mammouth momifié. Le fameux trou noir de la Sécu est devenu une fosse d'incinération des idéaux. Soigner tout tout le temps tout le monde est-il encore valide ?
Ne pas avancer l'argent de la visite pour être sur la voie de la guérison est enviable sur le papier mais comme toutes les facilités de paiement, ce geste crée l'endettement, aplanit la doléance, l'entretient et l'active. L'analyse par secteurs d'âge de fréquence de visite chez le médecin ou à l'hopitâl est assez édifiante. La moyenne annuelle de 6 à 7 visites par an par foyer est inférieure à celle des Hollandais et des Suisses qui dépassent la dizaine. La phobie du moindre mal est plus ou moins spéculative. Le verrouillage du recours intempestif aux spécialistes a en partie porté ses fruits mais faisons un petit calcul sur ce filon du syndrome des honoraires : de 55 à 70 euros chez un rhumatologue qui peut recevoir trois patients en une heure, sur une vingtaine de consultations par jour allouée à l'homme de l'art dont le montant peut scorer jusqu'à 1 400 euros quotidiens, qu'est-ce qu'il en coûtera à l'État, 400 ou 1000 euros ? C'est la dernière réponse qu'il faut malheureusement cocher.
Combien y a t-il de spécialistes en France, toutes disciplines confondues ? Nous avons besoin de 170 000 nouveaux médecins par année, c'est un marché toujours porteur car nous avons tous un corps faillible et sujet à des normes, des contraintes et des astreintes de conformité. Il nous faut admettre que les 24 000 spécialistes qui s'achètent une clientèle après dix ans d'études trapues voient dans ces recettes plus que coquettes leurs investissements récompensés. Qu'avons-nous à redire ?
Un système de protection élargi a entraîné une accoutumance au soin facilité. Et l'orchestration entre officines d'apothicaires, trusts pharmaceutiques et dispensateurs de médecines représente un chiffre d'affaires faramineux supérieur au PNB du Chili. Il s'agit d'un budget lourd dans la balance des paiements qui est dans le tiercé de tête des dépenses publiques après l'Éducation Nationale et la Défense.
C'est un ministère exposé et chaque occupant de la charge est lui-même pris pour un baromètre de l'évolution des mentalités. Il est plus facile de faire accepter l'homologation du mariage entre personnes du même sexe que d'envisager que les pratiques de la médecine et tout le secteur y afférant brassent moins de valeur-étalon de la pulsion de mort.