Il est difficile de dire si les vers d'Horace ont traversé les siècles pour convaincre nos élus de revoir les principes de la loi Evin posés en 1991 - Pour dissiper la tristesse / Et bannir le noir chagrin / Souviens-toi d'user sans cesse / De ta lyre et de ton vin - ou si d'autres raisons, plus prosaïques, les ont fait changer d'avis.
Lors des débats sur le projet de loi relatif à la santé menés lundi 9 novembre dernier, les députés de la commission aux affaires sociales ont fait pencher la balance en faveur d'Horace et d'un amendement adopté par le Sénat lors de la deuxième lecture, le 15 septembre 2015, à la majorité de 287 voix contre 33. L'article 4ter, désormais maintenu jusqu'au prochain rendez-vous parlementaire, le 16 novembre 2015, ouvrirait s'il devait être définitivement adopté, aux vignerons et autres acteurs de boissons alcoolisées, quelques perspectives promotionnelles : précisé que ne relèvent pas de la publicité et de la propagande les contenus liés à une région de production ou au patrimoine culturel, économique ou paysager liés à une boisson alcoolique.
De prime abord clair comme de l'eau de roche, de l'information culturelle en rapport avec une boisson alcoolisée n'est pas de la publicité, le texte devient pourtant plus troublant lorsqu'il est illustré par des exemples. Nunc est bibendum (maintenant il faut boire), déclare Horace dans ses Odes. L'alcool est le monarque des liquides, et porte au dernier degré l'exaltation palatale, affirme Brillat-Savarin dans sa méditation sur les boissons de son ouvrage La physiologie du goût. Dans les deux cas, il est difficile de ne pas trouver une dimension culturelle et patrimoniale à ces références, ni une forme de prosélytisme peu compatible avec une politique sanitaire de prévention contre les dangers de l'alcool.
Pour l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) ce registre de communication ne serait pas acceptable, comme le précise les logiques de son décryptage sur l'utilisation par les alcooliers de la notion de modération, à propos de laquelle le comédien Pierre Arditi déclare : je n'aime pas ce mot. Il ne veut rien dire. Un avis partagé avec modération.
Il y a en revanche un élément de cette récurrente problématique sociétale qui emporte l'adhésion de tous, la loi Evin, que personne ne souhaite remettre en cause, comme personne ne souhaite se priver de culture.
Autant dire le pays n'a pas fini de picoler. Mais pas d'inquiétude, cela sera culturel !