Y’a pas un intrus dans tes portraits ? » Le dealer mineur : « non… c’est mon mur des célébrités. J’y mets que les meilleurs ». Stupéfaction des forces de l’ordre.
OLIVIER NOREK, ÉCRIVAIN, LIEUTENANT DE POLICE DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SEINE-SAINT-DENIS (93), PRIX DU POINT DU POLAR EUROPÉEN 2016.
Hauts les coeurs, le cirque des élections présidentielles reprend. Nicolas en cracheur de feu, Marine la femme à barbe, notre clown président… j’entends même la musique entraînante… je connais même les paroles : « Vous êtes tous importants ! ». Les noirs, les arabes, les asiatiques, les pauvres, les chômeurs, les ouvriers, les juifs, les musulmans, les harkis, les profs, les aides-soignantes, les flics, les Calaisiens et bien sûr nos quartiers difficiles… Pour autant que l’on ait une carte d’électeur, pendant quelques mois, on va sévèrement se faire draguer, en mode « relou » de la boîte de nuit, celui qui vous lâche pas tant qu’il est pas sûr de vous avoir dans son urne.
C’est le grand retour des promesses pour tous. Soldées. Moitié prix. Trois pour le prix d’une. Changement de propriétaire, tout doit disparaître !
On promet, on jure, on s’en fout, une fois sur le trône, personne ne s’attend à ce que le prochain change de celui d’avant, encore moins qu’il honore son programme. Alors focus sur les banlieues et quartiers défavorisés du 93, la Seine Saint Denis. Pourquoi le 93 ? Parce qu’on est les meilleurs, tout simplement. On explose les statistiques, wesh. Le plus fort taux de chômage de la jeunesse et cela tombe bien, puisque c’est aussi le département le plus jeune de France. Le plus fort taux d’habitants sous le seuil de pauvreté. Et enfin, le département qui accueille le plus grand nombre d’immigrés.
Niveau sécurité, il y a moins de flics par habitants dans les villes du 93 que dans l’ultra violent 16ème arrondissement de Paris. C’est que ça se protège, les ambassadeurs et les vieilles en fourrures à Teckel. Du point de vue de la santé, je préfère ne pas vous parler de ces hôpitaux qui, noyés par les dettes, se retrouvent placés sous administration provisoire ou ceux qui doivent contracter un prêt à la banque pour survivre.
L’enseignement ? Même blague. Selon un rapport de la Cour des comptes, l’État allouerait 47 % de moins à un gamin du 93 qu’à son copain de Paris.
Et enfin le logement… À voir exploser les prix de l’autre côté du périphérique, vers Pantin, Pré-Saint-Gervais ou Les Lilas, on aperçoit le Grand Paris qui se dessine. Les bobos à barbe soignée en trottinette étouffent dans la capitale et viennent s’encanailler en banlieue. Les loyers s’enflamment et, effet domino, la population initiale du 93 (la plus pauvre de France je le rappelle) va devoir s’éloigner encore plus de Paris. Et quid de l’intégration ? Il ne fallait pas attendre grand-chose de ce côté-là lorsque même un des responsables de l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) confie qu’il est préférable de mettre dans un même immeuble les mêmes ethnies, car elles ont les mêmes coutumes. Tu la sens la fraternité de la République ?
Mais soyons honnêtes, je n’enfonce que des portes ouvertes. Gauche comme droite ont été également inefficaces et ces problèmes ont bientôt un demi-siècle d’âge. Une cinquantaine d’années, c’est ce qu’il fallait pour en voir les conséquences. Selon un sondage, 83% de la jeunesse ne fait plus confiance aux politiques. Dommage, ce sont eux qui sont aux manettes. Effectivement, la pire promesse non tenue est celle de l’exemplarité. Nos hommes politiques, à force d’être cités dans des affaires financières et à toujours s’en sortir, deviennent les héros des délinquants et petits criminels du 93. Immersion :
6h00 du matin, perquisition chez un mineur, dealer de shit. Réveil de la famille, fouille de la chambre, découverte de quelques 200 grammes de résine de cannabis. Au mur de la chambre, les visages habituels, respectés comme les grands frères du crime : Mesrine, Tony Montana au-dessus de son tas de coke, le nez tout blanc, flingues à la main et le Parrain qui s’apprête à « faire une offre qu’il ne pourra pas refuser ». Mais à la grande surprise des flics, à côté de ces affiches, un entrefilet de presse, une photo, un couple connu, les Balkany.
Le flic : « y’a pas un intrus dans tes portraits ? »
Le dealer mineur : « non… c’est mon mur des célébrités. J’y mets que les meilleurs ».
Stupéfaction des forces de l’ordre. Les gosses délinquants ont compris. Avant, lorsqu’on était un bad boy, on vivait vite et on mourrait vite, sous une pluie de métal. Normal. Maintenant, on peut être inquiété dans de nombreuses affaires, mis en garde à vue, reconnu coupable et pourtant, continuer à passer à la télé, diriger, profiter des ors de la République avec nos impôts et… recommencer !!! Face à cette quasi impunité, il faudrait être fou ou honnête, pour ne pas se laisser tenter.
Dans cette petite chambre de dealer, c’était les Balkany. Mais quinze autres auraient pu être à leur place. L’exemplarité, voilà peut-être la première promesse dont on aurait vraiment besoin qu’elle soit respectée…
Pour des lanceurs d’alerte protégés.
Pour une interdiction de vie politique à qui a un casier.
Pour un non cumul des mandats pour un simple cumul des salaires.
Pour une transparence des dépenses.
Pour le citoyen avant la finance.
Le chemin est encore si long.