En politique, pas de maquillage pour l'incandescence

Pourquoi un conflit social devient simplement un conflit d'images et les images obsolètes rapidement ? (première pièce à conviction d'une chronique à la recherche des éléments apolitiques de l'actualité)

L'incandescence

L'incandescence n'a rien de politique. Ce qui est vulcanisé de la vie publique se retrouve dans le colportage. Les idées battues et rebattues présentent un avantage : elles sont déjà connues, ne peuvent plus inspirer quiconque et facilitent l'ingestion.

Dorénavant un conflit social se résume à un conflit d'images, à une modélisation du coloriage. Plus une matrice est grosse, plus un corps de métier s'identifie à une firme et davantage le corps social  de l'assemblée du personnel subit des torsions irréversibles par rapport au coût du travail par poste, la célèbre péréquation de la nécessité de l'emploi. Outre les exemples d'Areva, de Michelin, de Radio France ou d'Auchan, qui remettent avec acuité sur le tapis la question du surnombre d'employés non indispensables, la crise d'Air France tient toutes ses promesses de vaudeville à forte inertie dramatique.

L'explosion

L'industrie du voyage a explosé. Asphyxiées par le dumping des compagnies low cost, cette firme ainsi que les grands sigles nationaux, européens et américains n'ont pas su évoluer et brider leurs avantages. La congestion de ces entreprises rendues déficitaires est concomitante de la perte de culture d'entreprise. Une notion dorénavant confrontée à un gradient d'obsolescence sémantique de type foudroyant. Le concept de maison même où le salarié pouvait y faire toute sa carrière et se considérer partie prenante, pupille ou ouaille du bercail, a fondu : les Télécoms, la Poste, les Impôts, Air France subit - comme Renault en son temps ou la SNCM qui relie la Corse au continent – un breakdown qui remet sur le tapis et la table d'opération leur constitution même.

La dislocation

Le lifting n'empêchera pas la fragmentation et la vente à l'encan des oripeaux d'un savoir-faire de voyagiste, de vendeurs de passerelles intercontinentales et la continuité longitudinale que devaient assurer les entreprises de transport nationalisées et dépendantes de l'État. Ce renversement des valeurs d'identification et des fondements de représentation ne peut susciter qu'une riposte virulente. Le voyage n'est plus un luxe. La rupture de contrat entre une société usant du pavois et du blason d'une modernité technologique telle qu'apparaissait Air France avec le Concorde dans les années 60, et des usagers enclins à voyager plus souvent et à moindre coût, prompts à se détourner vers des mini-structures proposant des trajets dégriffés, a entraîné inévitablement des scènes de violence montées en boucle sur les écrans. La question n'est pas de savoir si le libéralisme est mortifère. Il est un incubateur de dislocations (et pas uniquement de délocalisations). Et la desquamation des vieux atavismes fait mal.

Le châtiment

La fuite burlesque du DRH d'Air France, du directeur des ressources humaines et de son comparse, le directeur général, ainsi que le picaresque pitoyable choyé par les médias des deux cadres, prêts à vendre leur chemise pour leur boîte et réduits à fuir sous les quolibets, leurs liquettes déchirées, représentent bien en deux actes le nouveau théâtre de guignol. Sur le lieu du crime, le châtiment immédiat de la part de salariés n'acceptant pas le scénario de la casse et la réduction d'effectifs.

Le combat

Air France est un pachyderme et « dégraisser le mammouth » ne se fait pas à Disneyland. De toute évidence, ce sont les employés les coupables par leur gourmandise et leur incompétence ou pourrait-on dire leur manque de solidarité sacrificielle. Que ces nervis ou pantins ridiculisés se sentent mortifiés et se plaignent dans la presse de mauvais traitement, nous y voyons leur inconscience ou leur hypocrisie. Le combat contre l’insensibilisation des antagonismes structuraux ne peut pas toujours être désincarné. Notre taurillon national parle de « voyous » et la direction porte plainte et fait arrêter six leaders présumés pour voies de fait. Un bon cassage de gueule remet parfois les idées en place. Qui a été le plus humilié dans cette affaire ?

L'incendie

L'incandescence n'a peut-être rien de politique mais mettre le feu à la steppe permet d'enrayer le ravage d'un incendie plus dévastateur. Perdre sa chemise ou la jouer est commun à une table de poker. Les tricheurs n'ont pas intérêt à se faire prendre et la carambouille syndicale n'arrange pas la tâche des maquilleuses ou maquignons qui doivent habiller le sacrifice de matériel humain – terme d'état-major flegmatique – en soit disant ressources humaines. L’appellation de ce secteur d’activités ressources humaines dit bien paradoxalement la fonction de ce management des personnes. Il est le poste de délestage et des compressions et se doit de silhouetter et d’oindre le passage en douceur des contraintes restrictives de compétitivité. Ce n’est pas pour rien que la direction d’Air France a envoyé au casse pipe le maquilleur en chef et que les salariés s’en sont pris à ce gandin.

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