Je ne sais pas si les romans disent la vérité, mais je crois que les polars sont un excellent moyen pour raconter la réalité. Ils sont les véhicules idéaux pour décrire le réel, le décrypter aussi. (...) Le polar est bien le genre de la comédie humaine par excellence.
JEAN-MARC SOUVIRA EST ÉCRIVAIN, COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE AU SEIN DE LA POLICE JUDICIAIRE, RATTACHÉ À LA DIRECTION DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARC FERNANDEZ
Journal de Paris. Pourquoi, alors que vous faites une belle carrière dans la police, vous mettez-vous à écrire des polars ?
Jean-Marc Souvira. Tout est parti d’une discussion avec un ami au cours de laquelle je lui faisais part de mon agacement de voir l’image des flics écornée dans les fictions (livres, séries ou films). « Tu n’as qu’à en écrire une toi !», me dit-il. Je me suis pris au jeu et cela a donné le scénario de Go Fast, en 2008. Dans la foulée, j’ai continué avec un premier roman, j’avais pris goût à l’écriture, un véritable désir de rétablir la vérité sur mon boulot. C’est une des choses qui m’a motivé. Le côté flic alcoolique, dépressif, paumé, me fatigue. Les flics que je vois, sont des gens normaux, avec une vie de famille. Pour autant, je ne ressens pas un besoin d’écriture comme un exutoire, il y a aussi beaucoup de plaisir. C’est difficile d’expliquer ce ressenti car, d’un côté, j’ai choisi sciemment le polar, le genre du réel, de mon quotidien presque et, de l’autre, celui-ci me permet une telle liberté créatrice que j’arrive à m’évader en écrivant. Un vrai paradoxe !
JDP. La vérité (politique, sociale, culturelle) se trouve-t-elle dans les romans en général et dans les polars en particulier ?
J-M S. Je ne sais pas si les romans disent la vérité, mais je crois que les polars sont un excellent moyen pour raconter la réalité. Ils sont les véhicules idéaux pour décrire le réel, le décrypter aussi. Dans mes livres, je m’attache à montrer des policiers dans leur quotidien, comment ce qu’ils vivent les affecte dans leur vie de tous les jours. Car, croyez-moi, nous vivons et voyons des choses horribles, certaines le sont tellement que je me refuse de les utiliser dans mes fictions. Je m’efforce donc à mettre un supplément d’âme à mes personnages de flics. Certaines affaires peuvent toucher l’homme dans sa morale par exemple, dans son rapport à la violence, aux autres. Ce sont ces ingrédients qui façonnent aussi, et surtout, une personne. Le polar est bien le genre de la comédie humaine par excellence. Je vais vous donner un exemple. De par mes fonctions, j’ai eu à côtoyer le terrorisme et le crime organisé. Or, cette notion de criminalité organisée n’existe pas dans le code pénal français. Quand je l’évoque devant de futurs magistrats de l’École nationale de la magistrature (ENM), ils ouvrent de grands yeux. Pourtant, si dans les textes cette réalité n’apparaît pas, elle est bel et bien là. On fait comme pour le nuage de Tchernobyl, la criminalité organisée s’arrêterait à la frontière. Évidemment que non, la France, comme tous les autres pays, est touchée par ce fléau. C’est ce que j’ai essayé de montrer, par le biais d’une fiction réaliste, dans mon dernier roman, Les sirènes noires. Je trouvais intéressant d’écrire sur une matière que je connais bien — la traite des êtres humains — avec une histoire de réseau de prostitution aussi proche de la réalité que possible. Je voulais que les lecteurs comprennent cette mécanique, comment ces filles sont traitées purement et simplement comme des marchandises. J’ai mis à profit mon expérience du sujet pour raconter une réalité.
JDP. Le polar est-il politique ?
J-M S. Bien sûr ! Je dirais même que c’est le genre littéraire le plus politique, au sens noble du terme. Surtout en France, où nous avons une véritable tradition de romans noirs engagés. Avec Jean-Patrick Manchette et d’autres après lui, qui proposent des textes forts et portent un regard singulier sur la société. Cette dimension, je crois, a perduré, elle continue aujourd’hui avec des auteurs comme Marin Ledun (Les visages écrasés, au Seuil ou, plus récemment, En douce, aux éditions Ombres noires), qui n’hésite pas à traiter par la fiction des sujets contemporains et politiques dont la source est, bien souvent, la réalité. Mais si on dit que c’est une tradition française de faire du roman noir social et engagé, je pense qu’ailleurs aussi certains auteurs en écrivent avec beaucoup de talent. Certes, le thriller grand public fonctionne bien, c’est ce qui marche le mieux en ce moment, mais il n’y a pas que du divertissement pour se faire peur ou se faire manipuler. Prenez un James Ellroy et le regard qu’il porte sur l’Amérique. Il utilise le polar pour raconter la face cachée des États-Unis, l’histoire la plus sombre de son pays.
JDP. Et vous, diriez- vous que vos romans sont noirs et engagés ?
J-M S. Je ne sais pas si je peux aller jusqu’à affirmer cela, c’est aux lecteurs de le dire. Une chose est certaine cependant, c’est surtout le cas de mon dernier texte, je ne me voyais pas raconter une banale
affaire avec des prostituées sans une dimension réelle et donc géopolitique. Comme je vous le disais, au cours de ma carrière, j’ai eu à traiter des dossiers similaires et, en passant à la fiction, j’essaie d’utiliser cette matière première au maximum. Car tout est imbriqué et il faut utiliser cette dimension internationale dans ce genre d’intrigue pour rester connecté à la réalité. Ne pas nommer les choses, c’est les nier. Le polar, finalement, nous tend un miroir, il nous montre ce que l’on est, dans quelle société nous vivons. C’est une façon de m’exprimer qui me correspond bien.