Portrait de la politique avec un président du Conseil constitutionnel

"J’aimerais que les abstentionnistes ne cèdent pas à un petit groupe le droit de présider aux destinées de leur pays, déclare dans un entretien au Journal de Paris, Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel de 2007 à 2016."

Vous avez occupé différentes fonctions au sein des institutions françaises, notamment la présidence de l’Assemblée nationale et celle du Conseil constitutionnel, des postes qui ont la particularité d’offrir à celui qui en a la charge une vision d’ensemble de la vie publique et de ses acteurs. A partir de ces expériences, comment définiriez-vous la politique ?

Je n’aime pas beaucoup la notion de définition, surtout pour un objet aussi complexe que la politique. Faire de la politique est bien une participation à la vie de sa ville, de son pays, la manifestation concrète d’un intérêt, d’une volonté de participer aux affaires publiques. La politique est un engagement au service d’idées, d’espérances que l’on souhaite faire partager par le plus grand nombre. Mais le politique peut s’exercer de plusieurs façons. Si le citoyen souhaite contribuer à modeler le territoire auquel il est attaché, sa commune, son département, sa région ou son pays, il est essentiel qu’il prenne part aux débats et aux décisions, en faisant valoir son point de vue. C’est une condition indispensable à l’exercice de la démocratie. Autrement, un pays dans lequel les hommes et les femmes ne participent pas, est une nation qui s’abandonne aux mains de professionnels, qui réduisent forcément la portée de la politique puisque la participation des citoyens est à l’origine du crédit de leur action. Mais attention de ne pas oublier une autre dimension, fondamentale, de l’exercice de la politique, la volonté de fédérer la société autour d’un rêve construit à partir d’intérêts personnels rassemblés et transcendés par une dynamique collective. Je suis convaincu que l’essence de la politique se résume à ce désir de partager avec ses concitoyens un rêve d’avenir, assez fort pour mobiliser l’attention et donner envie à tous de prendre position, finalement de se politiser, afin d’aider ou non ce rêve à se réaliser. Au fond, la politique est toujours une affaire de choix, la possibilité de s’impliquer en confrontant ses expériences à une ambition portée par un rêve de bâtir un destin commun.

Quel regard portez-vous sur les citoyens qui ne participent plus à la vie démocratique, les abstentionnistes, de plus en plus nombreux ces dernières élections ?

Le phénomène de l’abstention est préoccupant. L’accepter, ce serait admettre que le rêve d’avenir partagé est irréalisable, car il suppose un engagement des citoyens, à minima, l’exercice du droit de vote à chaque élection. C’est une des conditions de pérennité de la République et de notre système démocratique. Le citoyen ne doit pas omettre de faire valoir ses prérogatives, de faire connaître ses choix en votant. Pourquoi refuser à la société ce que la vie lui laisse comme opportunité, la liberté de choisir ? Il n’a aucune raison valable d’ignorer cet avantage. Et c’est le minimum qu’il puisse faire, s’il ne veut pas se réveiller un jour sous un autre régime, comme la monarchie, où la transmission du pouvoir se fait au sein d’une famille, ôtant au peuple le soin de décider, ou encore la dictature, qui est le refus par le pouvoir de l’existence même du choix. C’est pourquoi, par leur silence, les abstentionnistes doivent comprendre qu’ils font prendre à la démocratie de graves risques, sans proposer aucune alternative, et j’aimerais qu’ils ne cèdent pas à un petit groupe le droit de présider aux destinées de leur pays. N’oublions jamais qu’en République la légitimité du pouvoir, le droit de légiférer, de gouverner, puise sa source dans l’expression de la volonté populaire.

Comment les hommes politiques peuvent-ils conserver la confiance des citoyens ? Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ?

La confiance passe par le dialogue avec ses électeurs, sa capacité d’écouter et d’entendre ce qui vous est relaté, l’expression de la vérité et la capacité de prendre des décisions et de les assumer. C’est une nécessité pour un élu de rester à l’écoute quotidienne ou régulière des citoyens. Au niveau national, les hommes politiques dialoguent moins, ils subissent la tyrannie de l’instant, s’enferment dans des jeux de rôles d’un spectacle, qui ne fait jamais de pause, leur attribue malgré eux. A peine décidé, tout juste expliqué, leur choix est déjà rendu obsolète par la séquence suivante, noyé dans le flux des informations. Une annonce chasse l’autre. S’installe alors un système où tout le monde paraît fuir ses responsabilités. Il est en effet très difficile de gouverner avec un mandat que l’on vous a confié, aussitôt remis en cause, le lendemain de votre arrivée. Mais ce n’est pas non plus pas une fatalité. Il faut s’adapter, réinventer la politique et le temps politique. Certains arrivent à prendre du recul, à ne pas se laisser bousculer par l’événement et à replacer leur action quotidienne dans une perspective d’avenir partagé. Ils sont rares.

Que pensez-vous de la professionnalisation de la vie politique ?

On peut assumer avec succès et professionnalisme des responsabilités politiques, sans être un professionnel de la politique, pourvu que l’on soit motivé par sa mission et que l’on croit aux idées que l’on défend. Il n’y a pas de complexité qui ne s’apprenne pas. La politique n’est pas la chasse gardée d’individus professionnellement formés à cette activité. Ce serait contraire au rêve partagé de la République. En revanche, je considère que l’on ne peut pas consacrer toute sa vie à la politique. Ce n’est pas une question d’âge, je parle de la durée des mandats. Dans une carrière, arrive un moment où la passion s’abandonne derrière l’habitude. Le danger est grand que la routine s’installe, que l’apparence prenne le pas sur l’envie, amenuise la disponibilité aux autres, ce qui n’est pas sans poser certain problème, notamment le statu de l’élu après l’exercice de son mandat, qui n’a jamais été réglé. Quand vous n’avez plus de doutes, que des réflexes, une forme d’inaction prime sur toute autre considération, il est urgent de quitter la politique.

Un mot sur le pouvoir ?

La démocratie est un régime difficile et délicat, c’est vrai, mais c’est le seul que je connaisse qui garantisse les libertés et offre à chaque citoyen le choix de ses opinions et de leur expression.

Prochain portrait de la politique avec François Hers, artiste à l’origine du Protocole des Nouveaux Commanditaires, mis en œuvre depuis 1990 par un réseau de médiateurs artistiques européens à la demande et avec le soutien de la Fondation de France. Ce nouveau mode de commande publique est à l’origine de l’installation de plus de 460 œuvres en France et en Europe, dans des établissements sanitaires ou sociaux, lieux de culte, écoles, prisons, places publiques de villes ou de villages, etc.

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