Pour le respect de la laïcité

Notre salut citoyen consisterait à revenir à l’application ferme de la loi de séparation, en traitant toutes les religions sur un pied d’égalité, en  maintenant la pratique des cultes dans la sphère privée.

Par Loïc Gourdon, citoyen, humaniste, libre penseur.

Pourquoi parler de laïcité, tenter d’éclairer la confusion ambiante ? Pourquoi dénoncer l’instrumentalisation d’un principe juridique et philosophique établi pour garantir la paix civile ? Est-il urgent de comprendre les controverses du présent et les tentatives d’une lecture révisionniste de la révolution de 1789, en s’appuyant sur la connaissance du passé ? Oui.

En France, la laïcité s’adosse à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et à la séparation des Eglises et de l’Etat, dont la première formulation juridique apparait dans la Constitution de l’an III, sous la Convention thermidorienne. Nul ne peut nier que le décret du 3 ventôse de l’an III, 21 février  1795,  hérité du décret du 2ème Sans Culotides  (18 septembre 1794), partiellement repris par la loi du 9 décembre 1905, est toujours d’actualité.

De 1795 à 2017, les avancées et les reculs de l’histoire balisent le difficile chemin entre soumission au dogme et liberté de conscience et d’expression, entre République et Restauration monarchique, alliance du trône et de l’autel, séparation et régression concordataire. Tout comme aujourd’hui, le XIXe siècle a vu s’affronter autour de l’Ecole républicaine laïque, les anti-laïques conservateurs et les républicains anticléricaux. Face à une Eglise catholique qui dénonce la liberté de conscience et les diverses formes de l’émancipation humaine, la Libre Pensée appelle au libre examen et au rejet du dogmatisme religieux.

En écho au décret révolutionnaire de 1795, la Commune de Paris promulguera la Séparation des Eglises et de l’Etat (décret du 2 avril 1871) dans des termes qui anticiperont la Loi du 9 décembre 1905. « La révolution communale affirme son caractère socialiste assurant à chacun la véritable base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a droit, déclarera le député Edouard Vaillant. » Pour la première fois dans l’histoire l’instruction primaire est laïque gratuite et obligatoire. Et l’égalité des sexes, allant de pair avec l’émancipation laïque, est à l’ordre du jour avec un projet d’instruction des jeunes filles.

Enfin, à l’issue de vifs affrontements parlementaires, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est votée le 9 décembre 1905. Les religions n’ont plus de statut public reconnu. « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Mais cette loi de concorde et d’apaisement, amendée pas moins de 50 fois depuis sa promulgation, continue à déranger. Car en jouant sur les notions de culturel et de cultuel, des élus de tous bords, quand ils ne tentent pas de la « toiletter », s’ingénient à la contourner pour subventionner les cultes. Ce sont les accommodements raisonnables, pratiques clientélistes destinées aux réélections et à l’achat de la paix sociale.

Dans notre histoire, les entorses à la laïcité ne se comptent plus, qu’il s’agisse du sinistre épisode de l’Etat national catholique pétainiste ou de la Loi Debré qui, en créant l’école privée sous-contrat, au grand dam de toutes les associations laïques, porta un coup très rude à la laïcité scolaire. Ainsi, la Vème république verra s’opposer lors de manifestations, à Versailles en 1984 et à Paris en 1994, les partisans de la liberté d’enseignement, c'est-à-dire les tenants de l’Ecole privée confessionnelle et les défenseurs de l’Ecole de la République.

C’est ainsi que depuis vingt ans, le contexte, international et national, souvent désenchanté, a conduit la laïcité à être progressivement remise en cause, notamment à des fins politiques. Une modernité perçue comme déshumanisante, une mondialisation néolibérale vécue comme un traumatisme, la fin de l’Etat providence, et d’autres facteurs encore sont venus renforcer le crédit du bien-fondé des fondamentalismes religieux. Comme le remarque Henri Peña Ruiz dans son Histoire de la laïcité : « La République laïque fonde l’intégration sur des principes de droit universels et non sur le privilège d’une vision religieuse particulière. Mais cette vertu intégratrice va se trouver brouillée, décrédibilisée par un phénomène socioéconomique. De fait les populations venues de l’immigration sont fréquemment victimes de discriminations à l’embauche, au logement et ne jouissent nullement de l’égalité des chances pourtant proclamée. »

C’est sur ce terreau que s’est développé et se développe toujours le fondamentalisme islamique. D’une manière fallacieuse, l’Etat républicain se trouve accusé de ne pas tenir ses promesses égalitaires. S’appuyant sur le droit à la différence, les ténors communautaires en appellent à une nouvelle laïcité qui consisterait à reconnaître aux populations issues de l’immigration des droits particuliers, dits collectifs, voir culturels, mais non individuels. Point alors un projet politique qui tend à enfermer l’individu dans sa communauté d’origine et à l’assujettir à des traditions religieuses, souvent rétrogrades. Stigmatisés, les athées progressistes sont qualifiés d’apostats. Les femmes non voilées sont accusées de trahir leur culture. En ce sens la pression au port du voile fait partie d’un combat idéologique. On ne peut ici entrer dans le détail, mais l’actualité fourmille de discours et d’initiatives confuses qui brouillent le discours laïque et tentent de l’instrumentaliser.

Les fondamentalistes voient dans la laïcité un prolongement du colonialisme culturel. Derrière les associations radicales se profilent les partis de l’Islam politique qui prétendent substituer l’Oumma à la nation, islamiser la modernité. Ainsi le Parti des Indigènes de la République dénonce t-il la religion islamophobe républicaine (comprendre la laïcité), le philosémitisme d’Etat, la négrophobie. Cet appel à la haine utilise les mots comme des armes. L’utilisation obsessionnelle du mot islamophobie, terme forgé par les islamistes, est un piège tendu pour faire passer la critique des courants dogmatiques totalitaires de la religion pour un racisme antireligieux. C’est un discours victimaire qui tente d’enfermer toute une communauté dans une identité imaginaire. L’Islam serait-il irréductible à la République ? On oublie qu’il existe aussi un islam des Lumières progressiste et des citoyens qui ont pris de la distance vis-à-vis de la croyance. Pourquoi l’Islam serait- il plus hermétique aujourd’hui à la laïcité que ne l’était le culte catholique en 1905 ? L’information gagnerait à être plus objective.

L’extrémisme n’est d’ailleurs pas l’apanage d’une seule des religions du Livre, les intégristes catholiques reviennent en force et entendent remettre en cause les libertés fondamentales et notamment les droits attachés à la condition féminine. L’Eglise officielle n’est pas en reste, des hommes politiques de droite comme de gauche, oubliant la séparation des Eglises et de l’Etat vont s’agenouiller au Vatican et prendre du pape des leçons de laïcité ou inscrivent leur action dans un corporatisme adossé à la Doctrine sociale de l’Eglise. Si seulement on en revenait à la soumission des corps et des âmes, on jugulerait plus facilement les mouvements sociaux. Rien ne vaut la soumission volontaire.

Il y a également l’actualité laïque officielle, doctrine à géométrie variable dans son application politique. D’un côté la « catho-laïcité » des chrétiens de la gauche accommodante, de l’autre celle des laïques bon teint, qualifiés par leurs ennemis de laïcistes, d’intégristes républicains. Après les puissantes manifestations de l’après Charlie on aurait pu espérer un sursaut laïque,  or rien ne s’est passé, chacun est rentré dans sa chapelle, fût- elle laïque. Et les polémiques ont repris de plus belle, avec le hold-up du siècle, celui du Front National « dédiabolisé » et prétendant être le seul à défendre la laïcité. Au regard de son histoire, on croit rêver !

En conclusion, et pour mettre fin à cette cacophonie délétère, notre salut citoyen consisterait à revenir à l’application ferme de la loi de séparation, en traitant toutes les religions sur un pied d’égalité, en  maintenant la pratique des cultes dans la sphère privée, seule solution pour contenir l’émergence des communautarismes politico religieux dont l’affrontement ne peut que conduire à la dislocation de l’ordre républicain.

La laïcité est une utopie généreuse, protectrice, universaliste émancipatrice, garantie de la liberté de conscience et d’expression, et de la paix civile. Un capital immatériel partageable. Reconstruction à laquelle s’emploie le mouvement laïque : trois associations historiques à l’origine de la laïcité institutionnelle, la Libre Pensée, la Ligue de l’Enseignement et la Ligue des droits de l’Homme, ont récemment lancé « l’Appel des laïques », auquel ont répondu les responsables des organisations syndicales, du mouvement associatif, des intellectuels de renom et, surtout, nombre de citoyens.

Victime d’amalgames et de contresens la laïcité, principe de paix serait devenue un sujet de discorde, principe d’unité par delà les différences, on lui assigne des fins identitaires. La laïcité n’est ni une police de la pensée, ni une option philosophique parmi d’autres. En garantissant la liberté de conscience elle permet l’exercice de toutes les autres libertés dans la maison République.

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